L'Illustration, No. 3240, 1 Avril 1905
LA VISITE SENSATIONNELLE DE GUILLAUME II A TANGER
L'empereur d'Allemagne, vêtu de l'uniforme spécial, avec burnous etcasque colonial, qu'il a composé, à l'occasion de son voyage àJérusalem, pour frapper l'imagination des musulmans.D'après une photographie.]
Cela est arrivé sans qu'on y pensât, comme presque tout arrive: unetiédeur dans l'air, je ne sais quoi de plus gai, le matin, dans lalumière du soleil, une éclosion soudaine de millions de petits pointsverts aux arbres de mon Luxembourg, un cerisier tout blanc découvert cematin dans le jardinet d'une maison de Montmartre, où j'allaisdéjeuner;--et voilà le printemps. Je me sens joyeuse, sans savoirpourquoi, et il me semble que ce divin rajeunissement des choses répandde la jeunesse aussi dans les yeux des gens qui passent.
J'ai gagné Montmartre à pied. Il était midi. Et je pensais que Baedekernous renseigne bien mal sur les vraies beautés de Paris. Il nousrecommande la visite des catacombes, de Carnavalet, du Louvre et duPère-Lachaise; il nous parle des monuments célèbres qu'il faut voir; ilcite les théâtres où il faut être allé, et il ne dit rien du plaisircharmant de faire, à midi, l'ascension de la rue Lepic par une joliejournée de printemps!
C'est l'heure du déjeuner. La rue est pleine de passants pressés, dejeunes gens, d'ouvrières en cheveux qui rient, jacassent,s'interpellent. On a très faim. Les devantures des restaurants et descrémeries sont ensoleillées, et cette bousculade autour des petitestables où l'on vient, en hâte, manger le «plat du jour» a la gaietéd'une récréation d'école. Aux étalages des poissonniers et descharcutiers resplendit la polychromie des pâtés, des saucissons, descoquillages, des choses amusantes à manger et qui sont la joie des repasde midi. Sur la chaussée, l'agent montre un visage moins sévère auxpetites marchandes dont les voitures et les paniers s'attardent; lesfiacres ont une allure de paresse; des odeurs délicieuses s'exhalent desrôtisseries,--et de quelques loges de concierges, où règne un abandon deripaille douce; et l'on voit des maris affamés se hâter vers la salle àmanger conjugale, avec un bouquet de violettes de deux sous dans lamain.
On est de bonne humeur aussi parce que c'est aujourd'hui jour de fête,et parce que tout à l'heure défileront sur le boulevard voisin, dans levacarme des fanfares, les chars fleuris des lavoirs et des marchés. Sousla pluie des confettis, du haut des chars en carton doré, les petitesreines souriront aux clameurs des badauds. Mi-Carême! On ne chômeofficiellement nulle part aujourd'hui; mais on flâne un peu partout.Jour de fête? Non, pas tout à fait. Jour de «flemme», plutôt. Et leParis des faubourgs est délicieux à regarder dans ces minutes-là. Jevoudrais comprendre de quoi ce charme est fait, d'où vient la grâce dece décor très vulgaire, et pourquoi ces petites Montmartroises sansbeauté donnent à mes yeux plus de joie que les femmes les plus jolies den'importe où?
Il est vrai que nous nous exagérons le pouvoir de la beauté. La beautén'est qu'un des moindres moyens qu'une femme ait de plaire; et Paris,depuis huit jours, es